Après un mois de procrastination intensive et à la demande générale, il est là.
Comme vous le savez maintenant, j’ai passé mes dernières vacances en Ukraine, et notamment à Tchernobyl. Drôle d’idée non ? Mais pas tant que ça. Un vrai voyage dans le passé, une plongée directe vers l’URSS et surtout des images absolument incroyables.
Alors comment ça se passe, un voyage à Tchernobyl ? Faut-il porter une combinaison NRBC ? En ressort-on avec un bras en plus et des neurones en moins ? Brille-t-on vert fluo ? Et plus simplement, est-ce dangereux ? On est en droit de se poser la question. En effet, la catastrophe de Tchernobyl, débutant le 26 avril 1986, restera comme la plus grande catastrophe nucléaire du XXe siècle, classée au niveau 7 sur l’échelle internationale des événements nucléaires qui comporte… 7 niveaux. Une telle excursion, à peine trente ans plus tard, doit forcément comporter des risques.
Oui et non.
Mettons tout de suite fin au suspense : une balade à Tchernobyl n’est pas plus dangereuse qu’une promenade dans la forêt du coin si vous suivez les instructions. Si vous n’en faites qu’à votre tête par contre… Une des règles dans la zone qui entoure Tchernobyl est de ne jamais s’asseoir par terre. En effet, les particules radioactives étant lourdes, elles se trouvent au niveau du sol, voire même sous le sol. Notre guide nous a raconté l’histoire d’une fille qui s’était assise au sol et a dû rentrer à Kiev en culotte, son pantalon ayant été confisqué après un contrôle de contamination (nous y reviendrons plus tard).
Attaquons la partie pratique.
C’est cher ?
L’excursion d’une journée m’a coûté 99 euros, tout compris. Pour deux jours, il en coûtera 249 euros, du moins avec la compagnie que j’ai choisie. En effet, impossible d’aller se promener à Tchernobyl par soi-même. L’entrée dans la zone d’exclusion (la zone la plus contaminée) est soumise à l’obtention d’un permis des autorités ukrainiennes, lequel ne peut être obtenu que par le biais d’une agence de voyage officielle.
Ayant réservé mon voyage sur Internet, nous voilà le grand jour, le 22 septembre 2018.
Le rendez-vous est fixé à 8 heures à la gare de Kiev. Notre guide nous attend et le groupe des aventuriers est formé : sept Norvégiens, deux Roumains, une Mexicaine et un Lexpagien. Nous embarquons dans un minibus.
Après quelques explications générales, les règles de sécurité : ne pas s’asseoir par terre, ne pas ramasser d’objets, ne pas manger de baies, ne pas fumer à l’extérieur (pour des raisons de sécurité incendie, la végétation étant très sèche)… Puis la distribution des fameux compteurs Geiger.
0,14 microsieverts par heure, c’est une dose normale dans une zone non-contaminée.
Nous roulons ensuite pendant environ deux heures pour rejoindre la zone d’exclusion. Pendant le voyage on nous diffusera un documentaire sur la catastrophe pour nous mettre en appétit.
Premier arrêt : l’entrée de la zone d’exclusion. Impossible de prendre des photos à cet endroit. Le barrage est gardé par la police ukrainienne et ils ne sont pas franchement du genre à rigoler. Mieux vaut se tenir à carreau. C’est également à ce moment que nous nous rendons compte de la foule qui vient visiter l’endroit. Il y a des dizaines de véhicules qui attendent de pouvoir passer.
C’est à nous. Nous nous alignons en file indienne et passons chacun notre tour devant un agent de police qui vérifie nos papiers et leur concordance avec le permis d’entrer. Nous remontons dans le minibus et cette fois c’est parti. Devant nous, une route déserte qui s’enfonce dans la forêt.
Quelques minutes plus tard, notre véhicule s’arrête sur le bas-côté. Au milieu de la végétation, un petit village. Quelques maisons, des voitures abandonnées, un centre communal.
Comme vous le remarquez, il y a des photos d’intérieurs. Or peut-être en avez-vous entendu parler, mais il est maintenant strictement interdit d’entrer dans les bâtiments (non pas pour des risques de contamination, mais tout simplement parce que n’étant pas entretenus, le risque d’effondrement est réel). L’explication est simple. Disons qu’en Ukraine les gens ont tendance à considérer les règles plutôt comme des conseils. Les guides connaissant parfaitement la zone et sachant ce qui est sûr ou pas, et les visiteurs ayant envie d’explorer, les groupes franchissent souvent la ligne jaune. L’excitation est toutefois réelle car la police, elle, patrouille et ne plaisante pas avec les règles. Avant chaque entrée dans un bâtiment, il faut donc observer les alentours pour vérifier qu’aucun policier n’est à proximité, entrer tous ensemble dans le bâtiment, l’explorer rapidement en étant le plus discrets possible et ressortir tout aussi discrètement. Si par malheur les autorités nous attrapent, la sanction est simple : expulsion immédiate du groupe et interdiction d’exercer pendant un mois pour le guide.
Heureusement tout se passe bien pour nous. Nous retournons au bus et poursuivons notre route. Rapidement nous rejoignons une sorte de monument qui est en fait le signe que nous entrons dans une ville. Tchernobyl.
Quelques centaines de mètres plus loin, une statue s’élève.
C’est le monument à ceux qui sauvèrent le monde. Toutes ces personnes qui sont intervenues lors de la catastrophe et qui l’ont payé de leur vie. Cette œuvre a plusieurs caractéristiques intéressantes. Premièrement, aucun sculpteur professionnel n’en est à l’origine. Ce sont pour la plupart des pompiers qui ont participé à son façonnement. D’autre part, certains éléments sont bien réels. La lance à incendie par exemple, est une véritable lance d’origine qui a été recouverte de béton. Enfin, on ne le voit pas sur l’image mais sur la gauche de la statue se trouve un médecin tenant une mallette. La légende raconte que les gens qui ont créé la statue ont caché dans cette mallette des bouteilles de vodka.
Juste à côté, quelques véhicules, d’origine là encore, qui ont servi aux secours. Des robots notamment, les seuls à pouvoir intervenir longtemps dans cet enfer.
Nous continuons notre chemin et quelques kilomètres plus loin nous découvrons une installation qui était à l’époque top-secrète. Un radar gigantesque capable de détecter des tirs de missiles dans le monde entier. C’était évidemment l’époque de la guerre froide.
On ne s’en rend pas forcément compte sur les photos mais ce radar est véritablement gigantesque. Pour vous donner une idée, il est équipé à l’arrière d’une sorte de protection pour stopper son signal car celui-ci fait le tour complet de la planète.
Poursuivant notre chemin, nous arrivons bientôt à une école maternelle.
La vision de cette école abandonnée, du matériel, des coloriages et autres peluches présents depuis trente ans est véritablement incroyable. Et encore, je vous garantis qu’en vrai c’est dix fois plus fort qu’en photo.
La mi-journée approche et le grand moment aussi. Au loin s’élève un mastodonte, celui dont tout le monde a entendu parler, le responsable de tout ça : le réacteur numéro quatre de la centrale nucléaire de Tchernobyl.
Mais pas le temps de s’attarder pour le moment car l’heure a sonné. Nous bifurquons et direction la cantine !
Pas de restaurant huppé ni de McDonald’s à Tchernobyl. Seulement la cantine des gens qui travaillent encore sur le site car oui, des gens travaillent encore dans la zone.
Avant de pouvoir nous sustenter, il nous faut passer le fameux contrôle de contamination dont je vous parlais au début. Rien de plus simple. Une machine, on monte dessus, on place ses mains de chaque côté et si le voyant s’allume c’est qu’aucune contamination radioactive n’a été détectée.
Ouf ! Rien à signaler. En route pour le repas. Le même repas que celui des travailleurs locaux.
Simple mais nourrissant. Des crudités, de la soupe, de la dinde et des céréales, un petit pain fourré à la confiture (ou une confiturine si vous préférez), avec comme boissons un verre de jus de fruit et un verre de « kompot », la compote ukrainienne étant en fait une sorte de grenadine.
Après ça nous pouvons enfin approcher le monstre.
Il n’y a en fait pas grand chose à voir car comme vous pouvez le remarquer le réacteur est entouré d’un immense sarcophage protecteur construit en 2016. On se trouve donc en fait en face d’une sorte de gigantesque hangar.
Inutile donc d’y passer plus de temps, nous pouvons décoller pour la ville d’à côté, celle qui est en fait probablement la plus connue pour toutes les œuvres touchant à Tchernobyl : Prypiat.
Imaginez une ville de 50 000 habitants évacuée en quelques heures. Une véritable ville fantôme.
Un bar.
L’intérieur du bar.
Après un coup d’œil au compteur Geiger, nous en sommes à 1,56 microsieverts par heure, soit dix fois la norme.
Durant cette journée nous monterons jusqu’à 50 microsieverts par heure au pied d’un arbre, soit près de 350 fois la dose normale. Inutile de dire que ce n’est pas le genre d’endroit où il faut s’asseoir pour faire une sieste.
La visite se poursuit dans la ville.
Si vous devinez ce qu’est la prochaine photo, vous êtes très fort.
C’est un ring de boxe.
Après encore de la marche, nous atteignons un endroit emblématique de Prypiat : la fête foraine.
Comme un symbole de la survie de la nature face à l’homme, cet arbre a poussé à travers une grille métallique.
Nous continuons notre chemin et arrivons maintenant face à une vision extraordinaire. En effet nous entrons dans un immeuble abandonné, dont les restes laissent imaginer la vie soudainement stoppée il y a plus de trente ans.
Et quelques dizaines de mètres plus loin, une nouvelle école.
Ce seront les dernières images que nous verrons de cette ville. La fin de la journée est déjà arrivée et il faut reprendre le minibus pour rentrer à Kiev. Après deux contrôles de contamination, nous voilà en route pour notre point de départ. Nous sommes tous fatigués, physiquement (plusieurs kilomètres de marche par une bonne trentaine de degrés) et mentalement.
Le retour à Kiev se fait tranquillement, dans un demi-sommeil et les embouteillages. Une fois arrivés à la gare, le verdict tombe. Durant toute cette journée nous aurons reçu au total 3 microsieverts, soit une dose parfaitement inoffensive de radiations.
J’ai omis de parler d’une infinité de détails dans ce résumé. Mais comme vous vous en doutez, rien ne vaut la visite réelle.
Une chose est sûre en ce qui me concerne : il est très probable que d’ici quelques années je retourne dans la zone pour une visite plus approfondie.